Société Française d'Alcoologie

L’addiction à l’alcool et allostasie hédonique : une recherche persistante de plaisir plutôt qu’un soulagement du mal-être

Une étude récente, publiée dans l’American Journal of Psychiatry, remet en question l’un des fondements théoriques de l’addiction à l’alcool : la transition du renforcement positif (plaisir) vers le renforcement négatif (soulagement de la dysphorie et du mal-être), décrite par la théorie de l’allostasie hédonique.

Contrairement à cette hypothèse, les résultats montrent que les personnes atteintes de troubles de l’usage de l’alcool (TUA), qu’elles souffrent ou non de dépression comorbide, ressentent toujours des effets stimulants et gratifiants lorsqu’elles consomment de l’alcool. Leur motivation principale demeure la recherche du plaisir, plutôt que l’atténuation d’un état négatif.

Une étude en conditions réelles pour mesurer les effets immédiats de l’alcool

L’étude a suivi 221 participants :

Chaque participant a été suivi dans son environnement naturel pendant deux épisodes distincts :

  1. Un épisode avec consommation d’alcool
  2. Un épisode avec consommation d’une boisson non alcoolisée

Durant ces épisodes, les chercheurs ont mesuré en temps réel plusieurs effets subjectifs :

Des résultats qui remettent en cause la théorie de l’allostasie hédonique

  1. Une consommation bien plus élevée chez les patients atteints de TUA
  1. L’alcool procure toujours du plaisir et des effets stimulants
  1. Un soulagement du mal-être très limité et non spécifique aux TUA
  1. La dépression ne change pas significativement les effets de l’alcool sur l’addiction

Conséquences pour la compréhension et le traitement de l’alcoolodépendance

Un changement de paradigme nécessaire

Ces résultats s’opposent au modèle dominant selon lequel la dépendance à l’alcool évoluerait d’une recherche de plaisir vers un usage destiné à soulager le mal-être.

Au contraire, les personnes atteintes de TUA continuent à boire pour le plaisir, même après des années d’addiction et malgré la présence d’une dépression.

Implications pour les stratégies de soin

Les interventions thérapeutiques doivent prendre en compte cette sensibilité accrue aux effets positifs de l’alcool et proposer des alternatives attrayantes pour remplacer ces plaisirs.

En conclusion, cette étude invite à repenser les modèles explicatifs de l’alcoolodépendance et à adapter les traitements en fonction des véritables motivations des patients.

Conclusion : vers une nouvelle compréhension de l’alcoolodépendance

Cette étude en conditions réelles apporte une validation externe aux résultats issus d’expériences en laboratoire contrôlé. Elle confirme que, même chez les personnes présentant une vulnérabilité émotionnelle marquée, l’alcool continue d’être perçu comme une source de stimulation et de plaisir plutôt que comme un moyen de soulager un mal-être.

Plutôt que d’observer une transition du renforcement positif (plaisir) vers le renforcement négatif (soulagement du mal-être), ces résultats suggèrent que ces deux mécanismes coexistent chez les patients alcoolodépendants, y compris ceux souffrant de troubles dépressifs. En d’autres termes, les individus les plus sensibles aux affects négatifs ne boivent pas seulement pour se sentir mieux, mais aussi parce qu’ils ressentent encore fortement les effets gratifiants de l’alcool.

Cette découverte remet en cause l’idée selon laquelle l’addiction évoluerait nécessairement vers un usage basé uniquement sur l’évitement de la souffrance. Elle ouvre ainsi la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques, visant à limiter l’attrait hédonique de l’alcool et à proposer des sources alternatives de gratification, plutôt que de se focaliser uniquement sur la gestion du mal-être.

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